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Souvent encore le romantisme reste lié à une expression littéraire
et artistique dans laquelle les comportements sont tout de mélancolie ou d'exaltation guidés
par les seuls sentiments, mais on sait, en réalité, que le romantisme est « une
révolution culturelle, en son actualité permanente, qui met en question la
situation globale de l'homme dans l'univers, sa relation à Dieu, son insertion dans le
monde et dans l'histoire, sa compréhension de lui-même... » (G. Gusdorf, Le
romantisme, Payot éd., 1993).
En sont une touchante illustration les souvenirs laissés par Élisa et Auguste
de leur rencontre dans un vallon des Boutières ardéchoises pendant quelques mois de 1861-1862.
Depuis leur naissance, Élisa et Auguste n'ont été séparés
que par un petit torrent plus ou moins bruyant selon les saisons, vivant, elle, dans
un château
flanqué de tours rondes et harmonieuses, juché sur un promontoire le surplombant,
lui, sur la colline en face, à portée de lorgnette, au hameau de Colognac dont il
porte le nom. À près de vingt-cinq ans, ils ne se sont encore jamais parlé.
Enfants uniques, l'un et l'autre, ils ont connu, de manière différente, la solitude
que crée cet état.
Certes, le château La Tour et le hameau sont isolés au cœur
de serres et de vallons. Ils empruntent cependant, tous deux, une même partie de route pour descendre
au bourg, à quelque quatre kilomètres de leurs demeures respectives.
La religion n'a pas encore fini de séparer deux êtres qui, de part et d'autre
d'un même vallon, peuvent se regarder vivre. La famille d'Auguste Colognac est protestante. La
famille d'Élisa Comte est catholique.
Les Colognac, de petite noblesse, devenus notables après la Révolution, vivent depuis
des siècles dans une austère maison de montagne ; les Comte, bourgeois de village, habitent
le château.
Comme toutes les jeunes filles de l'époque, Élisa tient son journal ; Auguste lit éperdument.
Ils communiqueront en échangeant leurs sentiments sur les lectures des ouvrages qu'il lui prête.
Soigneusement choisies au sein de sa bibliothèque, ces œuvres révèleront,
grâce aux « Pensées et Souvenirs » qu'Élisa confie à son
Journal et grâce aux livres retrouvés, que, malgré les interdits, Élisa et
Auguste débattent
des idées philosophiques, religieuses et artistiques de leur époque. L'accès qu'ils
ont aux œuvres les plus récentes leur permet de s'abstraire des mesquineries du quotidien
et de surpasser les infortunes auquelles ils sont confrontés au sein de leur microcosme provincial.
Leur sensibilité à la nature, à la musique, à la poésie, aux
déchirements religieux, à tant de domaines qu'ils apprécient ensemble avec une pénétration
remarquable, en fait des hérauts du Romantisme en Ardèche, leur destin, un roman !
Les sources qui permettent de prétendre donner à la brève rencontre d'Élisa et Auguste la dimension d'un roman romantique, ouvrent une perspective sur le romantisme provincial dont il est encore regretté qu'il soit un domaine d'études délaissé. C'est par une série de clés de lecture placées à la suite de l'extrait du journal, que l'auteur aborde cette perspective, en éclairant la place dans le mouvement romantique des ouvrages qui composent la bibliothèque d'Auguste et de ceux qu'il y choisit pour communiquer ses pensées à Élisa. Dans ces clés de lecture sont aussi abordés les mouvements politiques et religieux qui agitaient alors les esprits jusqu'au fond de leur communauté villageoise et qui s'interposaient entre eux en les maintenant dans les milieux en opposition.
Le journal d'Élisa est déposé aux Archives départementales de l'Ardèche, la bibliothèque d'Auguste a été retrouvée, en partie, dans la maison des Colognac.
Juriste de formation et de profession, Catherine Véron Clavière a exercé la profession d'avocat et a été enseignante. Auteur d'ouvrages dans la spécialité du droit qu'elle avait élue (droit pénal du travail), elle est titulaire d'un doctorat d'État en sociologie juridique. Déjà le sujet de sa thèse était redevable à l'Ardèche et à la famille Colognac. Son analyse sociologique de l'activité juridictionnelle, entre 1830 et 1840, du juge de Paix de Saint-Pierreville, Simon Pierre Colognac, père d'Auguste, a permis d'élaborer une méthode d'évaluation de ces juges de proximité en s'attachant à l'étude de leur ressort et de leurs justiciables au travers d'une personnalité toujours d'actualité qu'est le juge conciliateur pratiquant la médiation. De cette thèse a été extrait Un artisan de Paix en Ardèche au XIXe siècle, éd. Loysel 1994, Prix Villard du Conseil général de l'Ardèche 1995. Dès lors l'auteur connaissait bien le pays d'Auguste et d'Élisa et leurs compatriotes.