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![]() Carte du département de l'Ardèche à sa création et costume de préfet |
Notre conscience la plus intime
exerce à des degrés divers son droit de regard sur le moindre
de nos actes ou de nos pensées (encore qu'il puisse exister en
chacun de nous une part de déni). Jusqu'à présent,
même les plus sophistiqués des moyens de surveillance n'ont
pu aller scruter aussi loin.
Lorsque ce Cahier a été programmé, il n'était pas
encore question des interrogations soulevées par le débat actuel
autour de la LOPPSI 2. Nous réfléchissions alors à l'intérêt
d'aborder un sujet en grande partie ignoré dans sa globalité, et
que la richesse de certains dépôts d'archives nous permettait de
traiter, en particulier les dossiers concernant l'activité des comités
de surveillance sous la Révolution ou les rapports des préfets
transmis au ministre de l'Intérieur aux XIXe et XXe siècles.
Il a fallu ensuite définir plus précisément l'objet de l'étude:
la surveillance exercée par l'autorité publique, en délaissant
volontairement d'autres formes développées par la société,
comme celle de la famille, celle du groupe social. Mais celle du clergé a
pu être prise en compte pour la période où l'Etat absolutiste
englobait tout. Et aujourd'hui, alors que le système libéral s'impose,
la surveillance devient de plus en plus poreuse à différents niveaux
d'échelle. A chaque fois, l'auteur a été invité à repérer
les surveillants, leur organisation, leurs moyens, leur fonctionnement, l'objet
et le pourquoi de leur regard, l'étendue de leurs champs d'action, tout
ceci en Vivarais puis en Ardèche.
Le travail porte sur la longue durée, sans avoir la prétention
d'épuiser le sujet. Certains aspects n'ont pas été traités
comme par exemple celui de la surveillance des mouvements sociaux au XIXe siècle
mais qu'un Cahier consacré à ce thème a déjà abordé,
ou encore celui du regard porté sur les communistes ou sur les anti-colonialistes
au moment de la guerre froide, mais un Cahier à venir devrait s'y intéresser.
..
Bien que la surveillance remonte à des origines reculées dans le
temps (l'Egypte antique avait son vizir qui était alors "l'oeil et
l'oreille du pharaon"), notre Cahier s'ouvre sur la période d'Ancien
Régime, alors que fonctionnait le Cabinet Noir ou Secret du Roi, en relation,
entre autres, avec le réseau des Intendants en Province. Pierre Coulet
examine plus particulièrement la surveillance des «Nouveaux Convertis »,
dans laquelle le clergé catholique joua un rôle considérable.
Après cette expérience de surveillance par le haut, se met en place,
au coeur de la période révolutionnaire, une surveillance par en
bas, celle des comités de surveillance, aux compétences multiples
et aux orientations bien plus diverses qu'on ne l'imagine. Expérience
de courte durée suivie par une reprise en main par les autorités
centrales notamment avec la mise en place des préfets, pièce centrale
de la surveillance au XIXe et pendant une bonne partie du XXe siècle.
Quelques temps forts ont été particulièrement étudiés,
temps de crise et de balbutiements comme ceux de la Deuxième République
avec la contribution d'Eric Darrieux; temps de plus grande stabilité avec
le Second Empire où le regard s'élargit de plus en plus à d'autres
champs débordant l'analyse politique pour s'intéresser aussi à la
situation économique, sociale ..., terrain abordé par Jean-Claude
Saby, avec en complément le regard porté sur la franc-maçonnerie
depuis le Second Empire jusqu'au tournant des années 1880. Yvonne Leclère
s'intéresse à celui exercé par le commissaire spécial
de Viviers sur les milieux catholiques au moment de la séparation des Églises
et de l'État...
Avec le premier conflit mondial, c'est à l'inquisition militaire que Francis
Barbe consacre une étude documentée, le préfet conservant
ses prérogatives mais avec à ses côtés d'autres surveillants
en relation directe avec le pouvoir central, ici en l'occurence l'armée
(de leur côté les RG avaient été créés
depuis 1911).
Deux contributions portent sur la période du second conflit mondial, l'une
de Pierre Bonnaud sur « Moyens et limites de la surveillance sous
Vichy » en Ardèche et l'autre de Vincent Giraudier sur la surveillance
des intternés administratifs de Vals-les-Bains, nous dévoilant
la complexité et l'intensité d'un système développé dans
le cadre d'un régime totalitaire.
L'interview d'un ancien responsable des RG en Ardèche pendant les années
1970-1980 ainsi que l'examen sommaire des questions de surveillance aujourd'hui
nous font mesurer l'étendue et la complexité des mutations en cours, à l'heure
de la révolution informationnelle et de la mondialisation libérale...
Devenue omniprésente, mais vécue par le plus grand nombre avec
une certaine indifférence souvent parce qu'ignorée ou banalisée,
la surveillance actuelle n'est pas sans poser des problèmes d'éthique
réels.
Jean-Louis Issartel