Si on peut dire que les soldats, “les poilus”,
ont vécu au premier degré l’horreur de cette guerre, on peut
dire aussi que les familles, en deuil de leurs disparus, avec leurs blessés,
leurs gazés, leurs “atteints psychologiquement”, ont continué à porter
le poids des souvenirs sombres du conflit, en présence de la triste réalité des
blessures, des infirmités et des chagrins, bien longtemps après
l’armistice.
Rappeler tout cela, qui dépasse les comptes rendus
militaires ou autres journaux de marches et opérations, est faire acte
de mémoire et s’intéresser au côté humain, au
sentiment, à l’amour filial et conjugal ; 14 000 soldats
ardéchois ne sont pas revenus, parmi eux, des fils, des maris, des pères.
Les conditions d’inhumation des corps des Français
tombés au combat ont évolué au cours des cinq années
de la guerre, avec une prise en considération du combattant “mort
pour la France” et du deuil variable selon les lieux, les temps, les années,
depuis l’inhumation de masse en tombe collective, les crémations
des corps des soldats ennemis, les cimetières militaires et les rapatriements
après la guerre selon des processus difficiles pour les familles endeuillées.
Francis Barbe
Un exemple parmi d’autres, la commune de Pranles en Ardèche, 913 habitants avant guerre et 48 morts…
Soucieuse de marquer le 90e anniversaire de l’Armistice
du 11 novembre 1918, l’association “Paysages et Patrimoines de l’Auzène
au Mézayon” a construit une exposition intitulée “Pranles,
dans la tourmente de la Grande Guerre” avec un temps de lectures publiques à partir
de journaux et lettres de poilus et d’extraits d’œuvres littéraires.
Une grande partie de cette exposition fut consacrée aux 48 poilus de Pranles “morts
pour la France”, aux circonstances de leur décès, à leurs
sépultures connues, aux commémorations, aux monuments aux morts
et aux conséquences de leur disparition pour les familles.
Jean-Claude Vidal
La Grande Guerre a d’abord fait son entrée
dans la mémoire nationale par les tranchées et les “poilus”,
par Verdun : les monuments aux morts en portent le témoignage. Après
la guerre, le souvenir s’est aussi porté, très vite, sur
les “fusillés pour l’exemple”. Mais ce conflit mondial
et total n’est pas connu pour les évacuations forcées et
les internements de civils.
L’Ardèche n’a pas échappé à cette
histoire, notamment au travers d’un camp installé dans le grand
séminaire de Viviers. Ayant le statut de “camp de concentration”,
sous tutelle du ministère de l’Intérieur, ce lieu a accueilli
successivement deux catégories d’internés : l’une composée
d’Alsaciens-Lorrains considérés comme “douteux” par
les autorités (1914-1918) ; l’autre, d’ “Austro-Allemands” qui
ne seront rapatriés ou expulsés qu’après la signature
du traité de Versailles (1918-1919).
Les camps méconnus de la Première Guerre mondiale
préfigurent, par certains aspects, d’autres périodes du XXe siècle
où l’Etat a pratiqué l’internement de masse :
la Seconde Guerre mondiale et la guerre d’Algérie.
Hervé Mauran
L’Ardèche a accueilli, à la
fin de la guerre, un groupe de soldats russes placés dans des chantiers
du secteur de Valgorge et de Joyeuse.
Avant d’être affectés à des
travaux forestiers, ils ont fait partie des contingents envoyés par le
tsar pour combattre sur le front occidental. Mais, en 1917, la plupart de ces
soldats ont refusé de poursuivre le combat. Un combat qui, après
la révolution d’Octobre et le traité de Brest-Litovsk, n’est
plus celui de leur gouvernement. L’armée française a mis
en place de multiples dispositifs pour briser leur résistance et les obliger à reprendre
les armes. La dispersion dans des compagnies de travailleurs est un élément
d’une politique de surveillance, en même temps qu’elle obéit à une
logique de mobilisation de la force de travail disponible.
Au travers d’archives issues de fonds nationaux, notamment
de l’armée de terre et de la marine, l’article situe le contexte
de cette présence russe qui se prolonge plusieurs mois après la
fin de la guerre : notamment, le soutien aux armées blanches et une logique
de prise en otages.
Hervé Mauran
Alexis Tendil, né au Pouzin en 1896, a été incorporé en 1917 et formé comme “sapeur manipulant radiographiste” au 8e Régiment du Génie. Cette formation comptait plus de 200 “compagnies télégraphistes”, un millier d’officiers et 56 000 gradés et sapeurs téléphonistes et radiographistes. Alexis Tendil a été affecté à la section des écoutes de la 10e Armée du général Mangin au printemps 1918. Le 2 ou le 3 octobre 1918, quarante jours avant l’Armistice, il intercepte un message radio par lequel le nouveau chancelier allemand Max de Bade informe le pape Benoît XV de son intention de demander au président Wilson un armistice, ce qu’il fera le 6 octobre par le canal de la Suisse, sans en informer les Alliés. Cette interception vaudra à Alexis Tendil les félicitations personnelles du général Mangin. Tendil se taira jusqu’en 2000. L’Armée française le reconnaîtra en 2002 comme Doyen des Transmissions et Pionnier de la Guerre électronique. Il s’est éteint aux Vans le 5 octobre 2005 à l’âge de 109 ans.
Général Jean-Pierre Faure
Les grèves du printemps 1920 se placent
au sommet d’une vague de révolte sociale qui prend naissance dans
le cours du premier conflit mondial à partir de 1917. De manière
inextricable se mêlent revendications ouvrières liées à l’aggravation
des conditions de vie, pacifisme et rejet de l’ “Union sacrée” (dans
laquelle se sont compromis les dirigeants du mouvement ouvrier), espérance
révolutionnaire née de la révolution russe.
En Ardèche, les ouvrières du textile et les
travailleurs coloniaux sont les premiers à entrer en mouvement. En 1920,
les cheminots se retrouvent au cœur du combat social. Celui-ci est particulièrement
vif dans les centres ferroviaires du Teil et de La Voulte. Autour de leur lutte
s’agrègent d’autres catégories ouvrières, notamment
métallurgistes et mineurs. Une forte personnalité émerge
du mouvement : celle de Pierre Semard.
La répression s’abat et le mouvement échoue
devant la résistance organisée de l’État et du patronat.
Après être monté en puissance, le mouvement ouvrier se divise
sur le plan syndical (CGT et CGTU) et politique. De la “vielle maison” SFIO
naît le Parti communiste affilié à la IIIe Internationale.
Cependant, le mouvement social de 1920 annonce l’une des spécificités
de l’histoire sociale de la France : celle d’embrasements articulés
sur de puissants mouvements de grève, porteurs des espoirs des milieux
populaires.
Pierre Bonnaud
La guerre a-t-elle modifié les équilibres
politiques entre les forces en présence ? On sait qu’au
niveau national, la droite a largement gagné les élections
et que la chambre des députés sera appelée “la
chambre bleu horizon” en raison du nombre d’anciens combattants élus
et de sa couleur politique.
En Ardèche, si l’on s’en tient au nombre
de députés élus, la gauche républicaine a perdu :
quatre députés élus pour la droite et un seul pour la liste
de concentration républicaine. Pourtant, les deux listes de gauche radicale
de concentration républicaine et socialiste recueillent la majorité des
voix (un peu plus de 52% des suffrages exprimés), mais le mode de scrutin,
en accordant une très forte prime à la liste arrivée en
tête conduit à ce fort basculement à droite des élus.
La guerre a ici très peu modifié les équilibres
politiques du département : les pays à forte tradition catholique
restent sous l’emprise des notables d’avant-guerre tandis que la
vallée du Rhône, les pays protestants, le sud du département
conservent leur attachement à la république symbolisée par
les radicaux. Seule nouveauté, la percée du parti socialiste dans
les zones déjà ancrées à gauche.
Didier Picheral
Dès leur retour à la
vie civile, pour défendre leurs droits, pour commémorer le
souvenir de leurs camarades disparus, et pour promouvoir la paix, mutilés
et démobilisés créent une multitude d’associations,
souvent de façon spontanée. L’Ardèche n’est
de ce point de vue pas en reste par rapport au plan national. Le mouvement
tente de se fédérer pour être plus efficace. Il parvient à accomplir
un rôle social considérable. Mais la diversité des options
génère de profondes divisions.
Au début des années 1930, l’Union Fédérale
(UF) et l’Union Nationale des Combattants (UNC) dominent sur le plan départemental,
sans être pour autant hégémoniques. Influencé à ses
débuts par le courant révolutionnaire qui ne se réduit pas à l’Association
Républicaine des Anciens Combattants, le mouvement adopte majoritairement
une ligne marquée par l’apolitisme. Sa quête vers l’unité,
dans le contexte de crise des années 1930, l’origine sociale de
ses dirigeants, en majorité issus des classes moyennes, le rendent perméable
aux idées populistes de la droite nationale. La tenue à Privas
en juin 1939, d’un rassemblement commun présidé par les dirigeants
nationaux de l’UF et de l’UNC, avec la participation de Xavier Vallat,
se fait sur un programme d’action qui annonce les thèmes bientôt
développés par le gouvernement de Vichy.
Jean-Louis Issartel
Avant le premier conflit mondial, l’État
en France ne se préoccupe guère du sort de ceux qui ont combattu
pour son service et souvent souffert dans leur chair. Ceux-ci doivent se contenter
de distinctions et de quelques mesures d’assistance, comme l’institution
des Invalides, ou de maigres pensions.
Mais les pertes considérables des premiers mois
de la Grande Guerre conduisent progressivement les Pouvoirs publics à prendre
conscience de la nécessité d’accorder un traitement particulier
et une juste reconnaissance à ceux qui ont défendu la Patrie, tout
particulièrement les grands blessés. Début 1915, plus de
400 000 de nos combattants ont été tués laissant presque
autant de veuves et d’orphelins. Un nombre encore plus important ont été victimes
de blessures d’une gravité nouvelle en raison du développement
des feux massifs d’artillerie. Cette situation de détresse physique
et morale provoque rapidement dans le pays un élan considérable
de solidarité et de multiples initiatives privées appelées
alors « Œuvres de Guerre » puis publiques avec l’instauration
des Offices Nationaux d’Anciens Combattants.
De 1916 à 1939, l’article décrit l’évolution
des Offices Nationaux d’Anciens Combattants et leur projection en Ardèche.
Général Bruno Chaix
Le Pigeonnier, Charles Forot, Saint-Félicien, ces trois noms étroitement associés ont encore une résonance auprès d’un public cultivé, en Ardèche et ailleurs. Pour les amateurs de beaux livres, les éditions du Pigeonnier ont gardé leur prestige et sont toujours recherchées auprès des bouquinistes et des libraires. Ce sont ces livres, qui continuent à circuler, qui expliquent que le nom du Pigeonnier n’est pas oublié. Pour l’historien, le Pigeonnier représente le mouvement littéraire et artistique le plus important qu’ait vu naître le département de l’Ardèche dans la première moitié du XXe siècle et correspond à un courant plus vaste ayant marqué l’histoire culturelle de la France de l’entre-deux-guerres, le régionalisme.
Dominique Dupraz
Au lendemain de la Première Guerre mondiale, l’Ardèche participe tout comme le reste de la France à la fièvre érective qui se répand sur tout le territoire national. On peut estimer le nombre de monuments aux morts en Ardèche à quelque neuf cents lieux de mémoire (incluant tous les types de plaques, stèles, croix, sculptures…) correspondant à des monuments communaux, paroissiaux ou corporatistes (École Normale de Privas, Entreprise de Verrerie à Labégude…). Cependant, l’Ardèche est rarement évoquée dans les synthèses nationales relatives aux monuments aux morts. N’aurait-elle donc aucun monument intéressant du point de vue historique et artistique ? La presse de l’époque, les débats soulevés dans les conseils municipaux, les rapports du préfet donnent une image contrastée et diverse de ce que furent les sentiments associés par les populations et les communes à l’érection des monuments aux morts et autres lieux de mémoire.
Dominique Prat
Le témoignage du soldat Marius Chabrol (1891-1992),
originaire de Valgorge, enregistré alors qu’il atteignait ses 90
ans, est un document exceptionnel, qui a été utilisé au
début de chaque cours d’histoire sur la guerre de 1914-1918 pendant
de très nombreuses années dans des lycées et collèges.
En première ligne sur le plateau de Crouy en
1914, Marius Chabrol est envoyé dans les Vosges en 1915 puis dans la Somme
où il est gravement blessé en octobre 1916.
Grâce à ce témoignage, beaucoup de sujets
ont été abordés : les phases et les lieux, les conditions
de vie dans les tranchées, la fraternisation, les sacrifiés… Il
a donné aussi l’envie à beaucoup d’élèves
de prolonger l’approche vivante de l’histoire par un complément
de recherche.
Françoise Devis
Les textes, documents et articles présentés
dans ce dossier « 11 novembre » s’inscrivent dans
quatre moments différents de l’histoire.
Le 11 novembre 1920, le transport du corps du soldat
inconnu sous l’Arc de Triomphe suscite dans les colonnes du journal syndical
l’Emancipation un cri de révolte de l’institutrice
Célina Blaizac-Phillibert contre toutes les commémorations qui
accompagnent la fin des conflits et des massacres sans prévenir ceux à venir.
Le 11 novembre 1942, l’Allemagne hitlérienne
envahit la zone sud dont fait partie l’Ardèche. Pétain, le
vainqueur de Verdun, s’enfonce dans l’allégeance au nazisme
en interdisant toute commémoration. Fleurir les monuments aux morts le
jour de la date anniversaire de l’armistice de 1918 devient acte de résistance.
Le 11 novembre 1998, le dernier “poilu” de
la commune de Vallon-Pont-d’Arc est décédé. L’adjointe
au maire de la localité s’adresse aux jeunes générations
en construisant un discours pédagogique fondé sur l’histoire
et les lettres des soldats à leur famille.
11 novembre 2004 : la fédération
de la Libre Pensée de l’Ardèche, par la voix de son président
Yvon Villetard, initie devant le monument “pacifiste” de Joyeuse
une nouvelle façon de célébrer l’armistice de la Grande
Guerre en demandant la reconnaissance officielle et le droit aux honneurs
pour tous ceux qui ont refusé de porter les armes, pour les fusillés
pour l’exemple, pour les militants de la paix et de la liberté de
conscience.
Françoise Stora présente dans quelles conditions
une telle démarche a pu se réaliser. Démarche sans cesse
renouvelée depuis.
Rose-Avril Bonnaud, Mireille Fleck, Françoise Stora
L’année 2009 sera l’année de l’Astronomie. L’occasion pour les Ardéchois de se souvenir que l’un d’eux a marqué de ses recherches la discipline aux XVIIIe et XIXe siècles. Honoré Flaugergues fut très vite reconnu par la communauté scientifique et fit l’objet en 1865 d’un important article de Guillaume Bigoudan lui-même astronome et président de l’Académie des Sciences.
La bataille de Darbres a laissé le souvenir d’un important épisode de la Seconde Guerre mondiale en Ardèche et de la Résistance. Après la reddition des Allemands à Chomérac, le sous-lieutenant Kordes est conduit à Vals-les-Bains. De là il écrira à sa famille sur les conditions d’une détention qui fut celle de bien des prisonniers des deux camps.