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Nos ancêtres conquérants de terroirs vitaux ont élaboré un éco-système
particulièrement fonctionnel. La roche et la pierre, matériaux gênants pour
la mise en culture devaient être rompus, extraits, ramassés et stockés. Ne
pouvant être totalement utilisés, ils furent exploités par les paysans constructeurs
de façon rationnelle.
Il n’y avait pas alors d’autre alternative que de tirer quintessence de
l’adversité géologique, ce qui fut fait, et de quelle façon !
De nature solide,
durable, les matériaux ainsi extraits devinrent fonctionnels.
Ils permirent l’aménagement des pentes en terrasses, la domestication de l’eau, ainsi
que la matérialisation des parcelles conquises.
À partir de ces terroirs difficiles, ils créèrent un extraordinaire
paysage nourricier qui a toujours fait l’admiration des observateurs et des géographes. Dans
bien des cas, « le fait social a primé le fait géographique » (Marc
Bloch.)
Ces épierrements intensifs résultent d'une occupation maximale des terroirs. Ainsi
en Ardèche, au début du XIXe siècle, on comptait en
moyenne 67 habitants au km². On sait par ailleurs qu’entre 1700 et 1789 les agriculteurs
représentaient
74 à 78% de la population active, pour atteindre en 1851 81%. À titre d’information
les salaires de l’industrie ne comptaient que pour 7% !
C’est à partir de ces chiffres, des archives et renseignements issus de
bonne source que l’on peut, tout au moins en ce qui concerne les aménagements en place,
proposer une époque de construction située entre 1750 et 1850.
La majorité des paysages lithiques européens correspondent à des
vignobles conquis par épierrement sur des terrains à marnes délitables. L’emprise
du vignoble a provoqué des interventions dans des régions extrêmes à géologie
difficile ou sur des terroirs fort pentus.
« De toutes les formes de l’activité rurale française, c’est la culture de la vigne qui a été soumise aux plus complètes péripéties. Chacune de ces sensationnelles phases a inscrit son effet sur le paysage » (Gaston Roupnel).
Dans l’Ardèche la superficie du vignoble double entre 1816 et 1864, elle passe de 16 000 à 30 000 hectares. En correspondance évidente avec la densité de la population, la production du vin oscille entre 195 000 hectolitres en 1730 et 300 000 en 1850.
« Là où croist la vigne, là peut venir la soye » (Olivier de Serres).
Avant l’atteinte des maladies du ver à soie et les attaques du
phylloxera, l’Ardèche produisait en moyenne, entre 1815 et 1860, 1 500 à 2
000 tonnes de cocons. Le mûrier était complété partout. Les cultures
associées se répartissaient à tous les niveaux, intercalés entre vignes,
oliviers et châtaigniers. D’une terre réputée agreste, les hommes firent
un jardin. La maîtrise écologique du paysage est si évidente qu’elle
mérite l’admiration. Cette opulence ne dura vraiment que quelques décennies,
les millésimes gravés sur les linteaux, les porches et les croix des chemins et des
carrefours témoignent de cette riche période.
Par la suite, d’autres événements contribuèrent à favoriser
le dépeuplement de ces régions : l’industrie, la création du chemin de fer,
l’attrait des emplois fonctionnarisés… La guerre de 1914-1918 accentua, de façon
violente, hélas, le processus.
Le paysage des courageux « faiseurs de terre » perdait alors
ses constructeurs, le geste, les pratiques manuelles. La symbiose de l’homme et de la terre
s’effaçait pour faire place à d’autres réalités conditionnées
par la mécanisation, les coopératives, la production intensive et l’abandon de la
plupart des pratiques traditionnelles, mais ceci est une autre histoire !
La création du paysage de pierre n’est pas l’apanage des seuls
paysans ardéchois ; une architecture semblable est connue dans bien des régions de France
et on peut être frappé par les similitudes et les concordances. Le phénomène
se confirme d’ailleurs en Europe, plus particulièrement dans les régions méditerranéennes.
Il semblerait que les difficultés rencontrées furent surmontées de façon
identique jusque dans les détails. cependant la recherche d’un processus de diffusion semble
illusoire.
L’architecture rurale n’avait guère tenté jusqu’alors
les géographes ou les ethnologues, mais depuis quelques années des associations diverses,
des chercheurs sérieux ont contribué à la connaissance de ce patrimoine exceptionnel.
On peut considérer le paysage de pierre comme un des témoignages les
plus importants de la civilisation rurale, tant par la qualité des moyens mis en œuvre que
par la densité des aménagements.
Actuellement cet acquis remarquable se décompose sous nos yeux, nous
ne pouvons rester indifférents.
L’exposition proposée ne représente qu’une partie du sujet, limitée volontairement pour ne pas trop charger la visite et permettre de bien sensibiliser le visiteur. D’autres thèmes sur lesquels nous disposons d’une documentation importante : les aménagements hydrauliques, la maison rurale dans le paysage, l’occupation de l’espace, l’art populaire dans la maison ardéchoise… pourront faire l’objet d’une présentation ultérieure.
Dans nos enquêtes et observations nous avons trouvé une dimension complémentaire qui nous a particulièrement touché et dont nous avons jugé utile de tenir compte.
« Le paysage commence quand chaque science humaine ou exacte se tait… » (Michel Serres).
L’originalité de ces paysages va bien au-delà des simples considérations matérielles, elle provoque en nous un sentiment esthétique et poétique puissant qui ne peut être caché et qui doit être partagé. La parole et le verbe ne suffisant pas, nous proposons aussi l’image, en souhaitant qu’elle provoque le respect, la sauvegarde et la protection de cet acquis remarquable.
L’ultime référence nous est donnée par Michel Serres, récent académicien :
« Un livre peut se fermer, s’achever, labyrinthe, puits ou prison ; la page des pages paysagères, toujours ouverte, étalée, libre, lisible, étendue, déployée, découverte, manifeste et patente, ne cache jamais une page par une autre, voici le livre à poursuivre, fragile. La parure de la terre ne ment pas… »
Michel Rouvière, mars 1991
Catalogue 20 pages illustrées des dessins de Michel Rouvière.